samedi 9 novembre 2013

Un article de Philippe Barthelet. D'Algange, le penseur réfractaire.

D'Algange,
le penseur réfractaire

Deux ouvrages de Luc-Olivier d'Algange sur la modernité et autres absurdités du temps présent. Ou comment être chevaleresque dans un monde qui ne l'est plus


Propos réfractaires, Arma Artis, 76 pages, 18 euros
Lux Umbra Dei, Arma Artis, 402 pages, 35 euros
www.arma-artis.com


Luc-Olivier d'Algange commence ses Propos réfractaires par un éloge de la procrastination: "Remettez au lendemain, je vous supplie, remettez indéfiniment: le monde en sera plus calme, plus limpide et plus harmonieux". Réfractaire, en latin (refractarius) le casseur d'assiettes, une réputation que Sénèque ne veut pas que l'on fasse aux philosophes; il y a d'autres choses à briser, refringere, le courant d'un fleuve, par exemple ou une domination tyrannique, et les dictionnaires, qui sont les dépositaires de l'ordre du monde, n'oublient pas que se brise aussi, se réfracte, un rayon de soleil. Notre auteur donne raison à Sénèque, et ce que brisent ses propos, c'est en brise-lame le fleuve de la coutume et sa terrible domination tyrannique. " Toute œuvre est sacrifice. Celui qui ne sacrifie rien n'a rien. Le sacrifice est la mesure du réel. Il n'y a là rien de triste ou de pathétique. Les plus hauts sacrifices sont joyeux: la vie s'y hausse à une plus haute intensité. C'est pourquoi " ne sacrifiant rien, le Moderne profane tout"

Cette profanation est la mesure de son impuissance et de sa stérilité. " Moderne" est un mot commode, on évitera d'en déduire que notre auteur est contre-moderne, antimoderne; la manie étiqueteuse est moderne par définition, on lui fera la politesse, car poli, il l'est infiniment, de l'écouter sans le qualifier; et si ses propos sont réfractaires, s'ils doivent briser quelques obstacles avant d'arriver jusqu'à nous, la faute en revient aux temps qui sont durs. "La psychologie ne m'intéresse pas car il me semble que je n'ai rien à apprendre de moi-même. Quant à apprendre des autres, je me contente de ce qu'il me disent ou me font"

La psychologie est la raison d'être du Moderne, sa malédiction et sa perte. Quand l'auteur écrit ailleurs: " Tout ce qui cesse d'être chevaleresque devient policier", il en tire les conséquences. L'esprit chevaleresque est le contraire de la psychologie, il refuse le soupçon de principe qui détruit le calme, la limpidité, l'harmonie qu'il réclamait en commençant; qui détruit la joie et tout ce qui lui ressemble. La loi des suspects sous laquelle nous vivons en permanence a rendu notre monde d'un sinistre exaspéré. C'est pourquoi la tyrannie de l'opinion qu'il faut avoir nous rend incapable de penser; car la pensée véritable est respect, regard de loin, patience et attention qui seules permettent d'apprivoiser le réel et de "sauver les apparences" selon l'injonction platonicienne. Le tintamarre moderne, qui se veut défaite de la pensée, nous en offre au contraire l'occasion paradoxale: " La solderie généralisée de tout, la dévaluation de toutes les expériences humaines, laisse à l'essentiel sa valeur inestimable. le mal périt dans son triomphe."

Un recueil d'essais, Lux Umbra Dei, donne  toute leur portée aux Propos en les développant avec la même souveraine courtoise, la même autorité souriante: que sont les temps présents ? comment les considérer ? et nous-mêmes, qui en sommes les habitants, - ou les prisonniers ? Cette lecture vaut élargissement.

Philippe Barthelet
Valeurs Actuelles, 2 mai 2013

voir aussi Les Cahiers de la Délie:
http://cahiersdeladelie.hautetfort.com

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