jeudi 31 octobre 2013

Un poème de Jean Parvulesco, extrait de "India", éditions Style.

Pour les nuages argentés d'Ecosse



le fondement de la poésie est l'espérance, comprenons
l'envol prémonitoire des grouses dans les bruyères
teintes en rouge; avec leurs tabliers en cuir bouilli,
avec le goût amer de la confession au fond de la gorge,
les intermédiaires avides de continuation s'égayent à
travers les collines: parfois une jeune femme apparaît,
que le malheur avait poussé vers les Portes de Plomb:

quand traversée des rivières ancestrales, sa chair
s'attendrit, on la dépouille de se blanche tunique, et salée
celle-ci rejoint l'hommage à la Méridienne, sous l'allée.



à propos de Jean Parvulesco, voir aussi
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mercredi 30 octobre 2013

La discrète diaprure des profondeurs

S'aventurer dans les profondeurs ! Rien n'est plus étranger à la mentalité moderne qui, en toutes choses, se contente de plans et de surfaces. Univers de grandes surfaces et de vastes planifications, le monde moderne s'impose comme un universel nivellement par le bas. L'homme devient plat comme une image et ne retrouve le volume que dans un monde virtuel où son imagination même est contrôlée par les "concepteurs". Face à ce monde, l'Alchimie est, pour le rebelle, le véritable "recours aux forêts" pour reprendre la formule d'Ernst Jünger. La baudelairienne forêt de symboles en laquelle nous sommes invités par les traités d'Alchimie est riche de ces "sentes qui ne mènent nulle part" qu'évoquait Heidegger, car elles conduisent vers l'essentiel, - qui est de reconnaître que nous sommes toujours , à chaque instant, et déjà, au cœur de l'être.

Les "sentes forestières" dont abondent les traités et l'iconographie alchimique ne suscitent tant de réprobation et de désarroi que parce qu'ils nous délivrent du contrôle et de l'évaluation utilitaire. Certes, l'amateur d'œuvres philosophale risque de se perdre, mais ce péril, par l'exigence chevaleresque qui l'affronte, est lui-même salvateur. En nous aventurant, nous échappons au pire danger qui est de vivre sans jamais connaître la moindre aventure. Ainsi que l'écrit le poète latin: " Il est nécessaire de naviguer, mais il n'est pas nécessaire de vivre". La voie alchimique, pour labyrinthique qu'elle puisse paraître, n'en reconduit pas moins la pensée vers son propre sens, et l'âme vers son propre centre. Ne faut-il pas se perdre de vue pour retrouver la splendeur du Soi dissimulé sous les écorces mortes ?

L'art alchimique, comme tout grand art, modifie radicalement celui qui le pratique. L'alchimiste lancé à la poursuite du Cerf dans la forêt des hautes figures et des feuillages orphiques risque, certes, de manquer sa proie, d'être privé, au dernier moment, de l'expérience de la Merveille, - mais sa victoire sur la banalité et la médiocrité est déjà acquise, et sa nature propre, rendue plus ardente et plus subtile par son cheminement, est déjà ennoblie, rendue autre, par l'approche de la surnature dissimulée sous les œuvres de la nature. Ce qui est donné à l'alchimiste aux confins de sa quête n'est donné qu'à lui seul, et lui-seul peut en faire un noble usage: " C'est bien à tort, écrit Simone Weil, que l'on a pris les alchimistes pour les précurseurs des chimistes puisqu'ils regardaient la vertu la plus pure et la sagesse comme une condition indispensable au succès de leurs manipulations, au lieu que Lavoisier cherchait, pour unir l'oxygène et l'hydrogène en eau une recette susceptible de réussir aussi bien entre les mains d'un idiot ou d'un criminel."

A chacun de se retrouver au centre de son propre labyrinthe ! Les traités guident le chercheur mais ils ne planifient aucune découverte. La chasse subtile dont parle Ernst  Jünger connaît des indices, des signes et des intersignes, mais la rencontre avec la proie, aussi ardemment désirée qu'elle puisse être, est toujours imprévue. Seul le labyrinthe peut conduire au centre car le centre est à la fois caché et révélé; l'instant des retrouvailles avec le centre appartient à chacun dans le mystère qui, selon la formule d'Al-Hallâj, le fait "un unique pour un unique". Ainsi que l'écrit Maître Eckhart: " Le fond de Dieu et le fond de l'âme ne sont qu'un seul même fond".

L'herméneutique alchimique, à la différence des explications rationnelles, reconnaît la vertu de la dualitude, qui est tout autre chose que le dualisme. L'arborescence ne la déroute pas, ni la multiplicité des interprétations, ni la diversité des appellations, car selon l'angle de la lumière, le sens change d'aspect et il est juste de lui trouver d'autres noms, de même que les noms, à leur tour, peuvent changer selon l'éclairage du sens qui tombe sur eux. Ces métamorphoses, si déroutantes, sont, en Alchimie, le principe du feu de roue qui, à l'intérieur comme à l'extérieur de la matière alchimique, va révéler la multiplicité des états de l'être.

L'être ne se réduit pas à un seul état comme l'imaginent les théories mécanistes ou matérialistes, de même qu'un texte ne se réduit pas à une seule explication. Le feu de roue embrase successivement 
les aspects divers du réel, de même que la sagesse du Midi, comme l'écrit Michel Maier dans L'Atalante fugitive, "domine toutes choses, pénètre à droite jusqu'à l'Orient, à gauche jusqu'à l'Occident, et embrase la terre entière."

Le labyrinthe est le cheminement du chevalier de l'Art Royal car la réalité même est tissée, et notre humaine intelligence, telle une rosée matinale, repose sur l'entrecroisement des fils. Tour à tour eau aérienne, eau divine, eau de l'abîme, eau ardente, l'intelligence alchimique entre dans le tissu du monde, art subtil par excellence et par étymologie, où l'exigence poétique retrouve la langue des oiseaux. L'homme qui se consacre à cette connaissance sera, selon l'admirable formule de Milosz, "un instrument dans la main des Anges". Une autre logique se fait jour, en révélant le jour secret enclos dans la nuit de la Parole Délaissée, - une logique non plus titanesque mais divine. Ouverte sur l'histoire sacrée, elle est confiance et non plus arrogance, consentement à la discrète diaprure des choses reposant dans le mystère de l'être comme à l'abri des forêts, et non plus dans l'éclairage artificiel tel que voulut l'imposer le rationalisme moderne: "Avant d'entreprendre la grande conquête du ciel, écrit Milosz, il nous faut donc nous habituer à considérer notre chère Raison non comme une qualité indépendante, mais seulement comme le complément d'une puissance intérieure obscure jusqu'à ce jour et involuée."

Le Verbe est cette puissance intérieure que Milosz définit comme "quelque chose de doux, de profond, de tendre, quelque chose d'énorme et d'infinitésimal, rompant la monotonie patiente". Ni ceci, ni cela, - expérience de la contradiction vécue et nuptialement transfigurée, acceptée dans le secret de cette Foi véritable qui n'est autre que la gnose amoureuse: "Accepte ce présent, écrit Goethe, tissé de parfums d'aube et de clairs soleils. C'est le voile de la poésie reçu des mains de la vérité"

                                                                Luc-Olivier d'Algange

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mardi 29 octobre 2013

VITRIOLUM, une réalité blasonnée.

" Les hommes vont de multiples chemins, écrit Novalis, celui qui les suit et qui les compare verra naître des figures qui semblent appartenir à cette grande écriture chiffrée qu'on entrevoit partout: sur les ailes, la coquille des œufs, dans les nuages, dans la neige, dans les cristaux et dans la conformation des roches, sur les eaux qui se prennent en glace, au-dedans et au-dehors des montagnes, des plantes, des animaux, des hommes, dans les lumières du ciel, sur les disques de verre et les plateaux de résine qu'on a touché et frotté, dans les limailles autour de l'aimant et dans les conjonctures singulières hasard. On pressent que là est la clef de cette écriture merveilleuse, sa grammaire même..."

L'Alchimie est l'art de rendre à de tels aperçus la dignité d'une connaissance absolue, d'une gnose. Ces éclaircies de l'âme et de l'être qui, dans la vie quotidienne, sont passagères, furtives au point d'en être presque indiscernables, l'Alchimie va, au contraire, leur conférer la plus haute importance, au point d'en faire la référence de toute expérience humaine digne d'être vécue. Délivré du déterminisme voué à produire et reproduire selon une logique purement quantitative, l'Alchimie renouvelle l'expérience humaine en supposant un accord grandiose entre l'homme et le monde divin. Cet accord sera le principe de toutes les partitions alchimiques.

Or toute partition suppose une clef, et toute clef, dès lors que l'on s'aventure dans l'ésotérique, suppose un arcane. La discipline de l'arcane que respectent les œuvres alchimiques, a suscité d'innombrables malentendus. Il s'agit moins de garder par devers soi des informations qui, malencontreusement divulguées, eussent suscité des catastrophes, que de respecter la nature du secret en lui-même. René Guénon distingue, à juste escient, dans l'ordre de l'Initiation, ce qui relève du secret de convention de ce qui relève du secret de nature. Une chose dissimulée par convention n'a pas en elle-même la valeur d'un secret, mais il existe des connaissances cachées par nature dont le secret est la nature même. De tels secrets ne peuvent en aucune façon être divulgués à n'importe qui, ni diffusés car la divulgation implique, non la réception du secret mais l'entrée dans le secret. Celui à qui le secret est divulgué entre dans le secret et devient lui-même un secret.

Tel est exactement le sens du titre d'un des plus célèbres traités d'Alchimie, L'Entrée ouverte au Palais fermé du Roi. Le secret de nature, le secret essentiel est une porte ouverte à ce qui demeure caché. Tel est le sens de la consécration spirituelle propre à l'adeptat spirituel. Nous continuons, certes, à vivre extérieurement dans le même monde mais la vision s'est brusquement élargie. Les mots et les choses ne sont plus réduits à leur simple utilité mais ardent d'un feu secret qui est le principe du sens des mots et des choses. Si les mots, dans les traités d'Alchimie, scintillent comme des joyaux dans la pénombre drapée des chambres, c'est pour mieux nous dire que, semblablement, dans la nature, les choses brillent d'un éclat royal au juste regard.

Les pierres, les arbres, les rivières, les animaux, délivrés de leurs identités génériques, retrouvent l'individualité farouche qu'elles eurent, par exemple, dans les épopées celtes ou hindoues. Ce n'est plus le genre de l'arbre ou de la bête qui importe, la catégorie où le naturaliste entend la ranger pour sa commodité, mais sa singularité irréductible dans le récit du poète . " La tendresse ontologique des grands spirituels envers toute créature, écrit Paul Evdokimov, jusqu'aux reptiles et même jusqu'aux démons, s'accompagne d'une manière iconographique de contempler le monde, d'y déceler en transparence la pensée divine, de pénétrer la coquille cosmique jusqu'à l'amande porteuse de sens". Le secret de cette singularité sera donc d'entrer dans la logique de l'incomparable, propre au Symbole.

Le sens du secret, qui fait si cruellement défaut aux modernes, se confond avec le sens du  Symbole. Entrer dans le secret alchimique, c'est entrer dans la contemplation, dans la réalité métaphysique du Symbole. Celui qui entre dans le Symbole s'éveille.  Le Symbole est ce qui relie la nature à la surnature, le temps linéaire au temps sphérique ou encore à ce mystère qu'André Breton nommait l'or du temps et qu'il faut bien opposer au plomb du temps qui caractérise la vie quotidienne. De même qu'il existe un langage alchimique qui diffère du langage utilitaire par l'attention méditative qu'il porte aux mots et aux choses, de même il existe une temporalité alchimique qui change le temps en éternité.

Le langage alchimique est un langage héraldique qui nous invite à la contemplation des essences à travers les Figures. Blasonnée, la réalité apparaît, à travers les mots, dans l'intensité propre au juste regard poétique et philosophal. Les mots, au lieu de disparaître dans l'information qu'ils transmettent comme il advient dans le langage profane, vont poursuivre leur existence de façon extatique. Délivré de leur fonction utilitaire, de leur servitude, retrouvant leur noblesse primordiale toute rayonnante des fastes armoriaux de l'étymologie, les mots recomposent le monde que les alchimistes nomment le monde philosophal et qui est tout autre chose que le monde philosophique des modernes. Ce langage alchimique, si différent du langage profane, s'inscrira dans une conception du temps aussi différente que possible de celle qui prévaut actuellement. Dans le temps profane, le moment présent est détruit aussitôt que perçu et le passé n'est fait que des sombres décombres du temps détruit. Toute l'énergie humaine est alors mobilisée par le futur, qui est pure inexistence.

Une telle conception du temps est sans doute l'expression la plus parfaite du nihilisme: le passé n'existe plus, l'avenir n'existe pas encore et le présent est détruit aussitôt que perçu, - autant dire que nous sommes néant dans le néant. Le temps alchimique, au contraire, se fonde sur l'être. L'être, pour l'alchimiste précède le temps, quelque déroutante que puisse paraître la formule. Pour l'alchimiste, le passé est du temps éternisé, l'or du temps gagné par l'incorruptibilité essentielle que l'expérience du moment présent confère au moment passé. En un mot, pour l'alchimiste, rien ne passe, tout demeure.

Les "œuvres" se succèdent, non en se niant les unes les autres, mais dans l'approfondissement d'un même dessein. L'idée revient sans cesse dans les traités de Jacob Böhme, de Paracelse ou de Maître Eckhart: les profondeurs de la matière première recèlent l'étincelle du feu secret et c'est dans le tréfonds de l'âme que scintille l'éclat divin dans sa plus haute puissance embrasante et lumineuse.  Les diverses opérations alchimiques sont là pour révéler la profondeur lumineuse de la substance, sa richesse cachée. La somptuosité des pierres est au cœur des pierre. La lumière n'est pas à la surface mais à l'intérieur. La voie ésotérique, qui mène à l'intériorité, est, par excellence, chromatique et musicale. La traversée odysséenne vers le cœur, vers le feu central de l'être dont nous attendons la transmutation, se traduit par la naissance des couleurs.

Le Vaisseau alchimique est d'abord un microcosme versicolore. Ce monde de plomb où nous vivons, où tout est si terriblement opaque et lourd, il ne tient qu'à nous d'en transmuter la substance par la connaissance des profondeurs. Ainsi le vocable alchimique VITRIOL, qui désigne la nature mercurielle du dissolvant universel, se laisse comprendre en acrostiche: " Visita Interiora Terrae Rectificando Invenies Occultum Lapidem". Visite l'intérieur de la terre, en rectifiant tu trouveras la Pierre cachée.

                                                               Luc-Olivier d'Algange


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                         La "flamme qui fleurit"

Le langage des alchimistes déroute et fascine.
Au traité d'alchimie semble convenir, au premier regard, le vers de Mallarmé: " Calme bloc ici-bas chu d'un désastre obscur ". Cependant dans ces ténèbres, les mots brillent d'éclats singuliers. Il y est question de Céruse, d'Orpiment, de Réalgar, d'Azurite, de Chélidoine. Les phrases qui décrivent les opérations, et dont on ne sait, tout d'abord, si elles sont matérielles ou mystiques, convoquent un bestiaire en proie à des métamorphoses, une géographie sacrée où les mers, les ciels, les forêts changent de couleur selon les changements survenus dans l'âme de l'Adepte. Tout semble se jouer dans une science de l'interdépendance où l'âme humaine et l'Ame du monde se découvrent de mystérieuses affinités.

L'alchimiste vit dans un monde qui n'est pas tout à fait notre monde mais auquel cependant notre monde donne accès. L'alchimie n'est pas une évasion, elle révèle, par son langage si particulier, les arcanes de ce monde où nous nous trouvons et dont tant d'aspects essentiels nous demeurent méconnus. La terre sur laquelle nous allons, où nous livrons à nos affaires humaines, est déjà pour l'alchimiste un grand mystère digne d'une attentive révérence.

Nous ne comprendrons rien aux traités, aux poèmes et à l'iconographie alchimique si nous ne consentons pas tout d'abord à changer notre regard et à retrouver quelque innocence dans notre façon de voir. Les sens du merveilleux ne s'apprend pas, car il n'est pas quelque chose qui s'ajoute à notre entendement. Le sens du merveilleux se retrouve. La conversion du regard par laquelle nous quittons le monde utilitaire et profane change en lumière les ténèbres d'un langage dont la signification nous échappe. Car avant même de comprendre par le détail la signification particulière de telle ou telle phrase, c'est le sens même de l'œuvre qui doit magnétiser notre entendement.

Le sens de l'œuvre, c'est le pôle, l'orientation la plus décisive et la plus immédiate de l'entendement dont la proximité suscite le Merveilleux. Est-il nécessaire de préciser que l'Alchimie n'est en aucune façon une science matérialiste ? La matière première dont il est question dans les traités, est la terre, mais cette terre ne correspond en aucune façon au concept de matière tel que le défendent les matérialistes modernes. La terre alchimique, ce que les alchimistes nomment "notre terre" est une terre en métamorphose, une terre traversée de forces florales et d'accomplissements lumineux qui ne peuvent, en aucun cas, s'expliquer par des lois mécaniques. La terre, disait Novalis, culmine dans "la flamme qui fleurit". (...)

S'il fallait offrir d'emblée une définition, la plus succincte possible, de l'Alchimie, on pourrait dire qu'elle est une science de la contemplation. L'homme haussé au-dessus de lui-même par la contemplation découvre le monde comme un temple. L'homme qui contemple est délivré du leurre de l'enchaînement des effets et des causes, de ce simulacre de raison qui l'enchaîne au déterminisme et à la servitude volontaire. Retrouvant la dimension verticale, la transcendance, figurée dans l'imagerie alchimique par un rai de lumière venant frapper l'athanor, son entendement s'édifie. Hauteur et profondeur se précisent dans la découverte des rapports et des proportions.

Tout cheminement alchimique témoigne de cette verticalité de l'entendement, de cette conquête de la vastitude que la vie quotidienne ignore et que les normes profanes réprouvent. N'oublions jamais que tout conspire, en cet âge noir, à nous rendre aussi ignorants et misérables que possible. Au monde abstrait schématique, absurde et déterministe, l'Alchimie oppose un monde foisonnant d'arborescences, de couleurs, de figures mythologiques, de songes prophétiques, de veilles ardentes et de réalisations imprévues. L'athanor où vit et change la terre alchimique ne cesse de célébrer les noces du monde extérieur et du monde intérieur; car le cours des saisons et des astres est, pour les alchimistes, en étroite concordance avec l'assomption de la pensée à travers les diverses stations de la connaissance.

De la terre damnée, caput mortuum, à la terre adamique, le chemin est long et difficile. La terre solaire, la terre des philosophes, "blanche feuillée", - autant de formules pour décrire les étapes de la transmutation, les moments d'une renaissance immortalisante de l'âme humaine en la terre céleste. Ce monde matériel, qui prétend nous enchaîner dans les rets de ses déterminismes, l'alchimiste ardemment croit pouvoir s'en délivrer, en retournant les forces, c'est-à-dire en prenant l'engagement de servir le subtil et le léger contre le grossier et le lourd. Les "réalistes" répliqueront qu'il ne s'agit là que d'un songe, mais la réalité où nous vivons, et ce qui subsiste, par exemple, de notre civilisation française, est-elle autre chose que le composé alchimique des songes magnifiques des poètes, des amoureux, des mystiques, des saints et des héros ? Et la triste détresse où les hommes vivent, n'a-t-elle pas pour cause première cette absence de songe des "réalistes" qui réduisent le monde à leurs minimes mesures ? Les uns changent le plomb en or, les autres l'or en plomb. "On est finalement tenté, écrit Nietzsche, de diviser l'humanité en une minorité d'êtres qui s'entendent à faire de peu beaucoup, et une majorité de ceux qui s'entendent à faire de beaucoup fort peu; on rencontre même de ces sorciers à rebours qui au lieu de tirer le monde du néant, tirent du monde un néant."

                                                             Luc-Olivier d'Algange

extrait de L'Etincelle d'Or, éditions Les Deux Océans.

lundi 28 octobre 2013

Notes sur l'Alchimie.

L'Alchimie est la science de l'or naissant. Gnose aurorale et aurifère, elle suscite entre le ciel et la terre la robe tournoyante des synesthésies et nous révèle au mystère de la présence: ce pénultième instant de l'apothéose où nous prenons conscience de nous-même pour la première fois. Dès lors, une connivence s'est établie entre les minéraux enclos dans les profondeurs telluriques et les vastes mouvements célestes. Des images anagogiques nous portent, de reflets en reflets, jusqu'à la certitude irradiante de la gemme philosophale. Les couleurs s'harmonisent aux astres. Mercure domine le vert, Jupiter domine le gris, Vénus domine le bleu et le rouge sombre, Mars domine l'Iris et l'éclatement paonnant et le Soleil enfin domine le Rouge Parfait, le rubis des Sages, l'apogée de l'Œuvre Royal.

L'homme, se substituant au Temps, devient alors lui-même la pierre philosophale de la nature déchue et l'agent de la translucidification universelle. Le principe de cette réincrudation humaine se déployant en régénération cosmique est le feu secret dont l'or et le soleil visible ne sont que l'écrin ou le tabernacle. Ni mystique sentimentale, ni métallurgie para-scientifique, l'Alchimie est une pyrosophie fondée sur la maîtrise des éléments et la connaissance de l'Ame du monde qui nous donne accès au déchiffrement des signes que la nature inscrit "sur les ailes, sur les coquillages des œufs, dans les nuages, dans la neige, dans les cristaux et les pétrifications" ainsi que l'écrit Novalis au commencement des Disciples à Saïs.

S'abreuvant aux sources limpides de Mnémosyne, gardienne de la Tradition, l'alchimiste peut affronter les pouvoirs iniopes d'Hypnos et de Thanatos. L'ubiquité de la matière première n'a d'autre sens; elle indique la nécessité de retrouver la présence éparse et occultée du divin afin d'en rassembler les lueurs dans une étoile. Cette étoile qui orienta le voyage de Gérard de Nerval et dont l'alchimiste, orant et laborant, guette l'apparition sur la surface des eaux mercurielles. .

Tous les traités d'alchimie en témoignent, le Grand-Œuvre débute par l'enténèbrement de la descente aux enfers. Avant d'œuvrer et de vivre, l'alchimiste doit mourir. Avant l'albification de l'œuvre-au-blanc et la rubification de l'œuvre-au-rouge, l'alchimiste doit affronter le chaos, le Dragon Noir de la matière indifférenciée. De même que l'initié des Mystères orphiques devait participer à la souffrance et à la mort du dieu afin de renaître, les yeux dessillés, dans l'ordre harmonieux de la sagesse, l'alchimiste doit aller jusqu'à l'obscurcissement le plus profond, la noirceur la plus désespérante afin de comprendre les principes de la matière. Avant d'exhausser le corps glorieux dans clarté ignée et séraphique de  la terre céleste, l'adepte de l'Art Royal devra descendre dans l'opacité la plus intime de la substance, aux confins des ténèbres non pour s'y perdre mais pour y découvrir l'étincelle du feu incréé, la racine même de l'extrême diaphanéité enclose dans la torpeur, l'oubli et le sommeil abyssal, étincelle graciante qui dispose du pouvoir d'incendier de transparence tous les cieux et toutes les terres.

Le poète œuvre sur l'écrit de la même manière que l'alchimiste sur la matière. L'un et l'autre sont attentifs aux signes et sensibles au désir. Ils n'imposent pas mais regardent, l'un le sens "qui ne montre pas, ne dissimule pas, mais fait signe" selon la formule d'Héraclite, l'autre, le bruissement léger et les changeantes couleurs de la substance, langage synsthésique, aussi nommé langue des oiseaux.

Dans cette perspective, l'écriture du livre renvoie à l'écriture du monde selon un jeu de correspondances, une féérie de regards échangés dont le secret gît, comme l'écrit Mallarmé "au mystère du cœur". Et le cœur de ce Mystère, c'est la prunelle qui nous voit et, en même temps, reflète notre image. Tel est le sens du Miroir de l'Art dont parle le Cosmopolite et d'où l'on voit le monde entier et par lequel nous pouvons apprendre "les trois parties de la sapience".

Dans l'athanor, le chêne creux, s'opère la congélation de l'esprit et la solution du corps de sorte qu'Eve se change en aigle blanc afin de retrouver l'or dont elle est issue. "Tout l'Art consiste en des feux légers", écrit Zozime. Mais ces feux doivent s'accorder aux saisons  et l'adepte devra s'attacher tout particulièrement à rendre son feu léger au printemps minéral ( ce printemps qu'immortalise l'architecture romane où la pierre semble changée en lumière). L'apogée de ce printemps coïncidera avec l'apparition de floraisons célestes sur les jardins de la mer.

                                                                 Luc-Olivier d'Algange


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Fin mars. Les Hirondelles, éditions Arma Artis
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