lundi 28 octobre 2013

Notes sur l'Alchimie.

L'Alchimie est la science de l'or naissant. Gnose aurorale et aurifère, elle suscite entre le ciel et la terre la robe tournoyante des synesthésies et nous révèle au mystère de la présence: ce pénultième instant de l'apothéose où nous prenons conscience de nous-même pour la première fois. Dès lors, une connivence s'est établie entre les minéraux enclos dans les profondeurs telluriques et les vastes mouvements célestes. Des images anagogiques nous portent, de reflets en reflets, jusqu'à la certitude irradiante de la gemme philosophale. Les couleurs s'harmonisent aux astres. Mercure domine le vert, Jupiter domine le gris, Vénus domine le bleu et le rouge sombre, Mars domine l'Iris et l'éclatement paonnant et le Soleil enfin domine le Rouge Parfait, le rubis des Sages, l'apogée de l'Œuvre Royal.

L'homme, se substituant au Temps, devient alors lui-même la pierre philosophale de la nature déchue et l'agent de la translucidification universelle. Le principe de cette réincrudation humaine se déployant en régénération cosmique est le feu secret dont l'or et le soleil visible ne sont que l'écrin ou le tabernacle. Ni mystique sentimentale, ni métallurgie para-scientifique, l'Alchimie est une pyrosophie fondée sur la maîtrise des éléments et la connaissance de l'Ame du monde qui nous donne accès au déchiffrement des signes que la nature inscrit "sur les ailes, sur les coquillages des œufs, dans les nuages, dans la neige, dans les cristaux et les pétrifications" ainsi que l'écrit Novalis au commencement des Disciples à Saïs.

S'abreuvant aux sources limpides de Mnémosyne, gardienne de la Tradition, l'alchimiste peut affronter les pouvoirs iniopes d'Hypnos et de Thanatos. L'ubiquité de la matière première n'a d'autre sens; elle indique la nécessité de retrouver la présence éparse et occultée du divin afin d'en rassembler les lueurs dans une étoile. Cette étoile qui orienta le voyage de Gérard de Nerval et dont l'alchimiste, orant et laborant, guette l'apparition sur la surface des eaux mercurielles. .

Tous les traités d'alchimie en témoignent, le Grand-Œuvre débute par l'enténèbrement de la descente aux enfers. Avant d'œuvrer et de vivre, l'alchimiste doit mourir. Avant l'albification de l'œuvre-au-blanc et la rubification de l'œuvre-au-rouge, l'alchimiste doit affronter le chaos, le Dragon Noir de la matière indifférenciée. De même que l'initié des Mystères orphiques devait participer à la souffrance et à la mort du dieu afin de renaître, les yeux dessillés, dans l'ordre harmonieux de la sagesse, l'alchimiste doit aller jusqu'à l'obscurcissement le plus profond, la noirceur la plus désespérante afin de comprendre les principes de la matière. Avant d'exhausser le corps glorieux dans clarté ignée et séraphique de  la terre céleste, l'adepte de l'Art Royal devra descendre dans l'opacité la plus intime de la substance, aux confins des ténèbres non pour s'y perdre mais pour y découvrir l'étincelle du feu incréé, la racine même de l'extrême diaphanéité enclose dans la torpeur, l'oubli et le sommeil abyssal, étincelle graciante qui dispose du pouvoir d'incendier de transparence tous les cieux et toutes les terres.

Le poète œuvre sur l'écrit de la même manière que l'alchimiste sur la matière. L'un et l'autre sont attentifs aux signes et sensibles au désir. Ils n'imposent pas mais regardent, l'un le sens "qui ne montre pas, ne dissimule pas, mais fait signe" selon la formule d'Héraclite, l'autre, le bruissement léger et les changeantes couleurs de la substance, langage synsthésique, aussi nommé langue des oiseaux.

Dans cette perspective, l'écriture du livre renvoie à l'écriture du monde selon un jeu de correspondances, une féérie de regards échangés dont le secret gît, comme l'écrit Mallarmé "au mystère du cœur". Et le cœur de ce Mystère, c'est la prunelle qui nous voit et, en même temps, reflète notre image. Tel est le sens du Miroir de l'Art dont parle le Cosmopolite et d'où l'on voit le monde entier et par lequel nous pouvons apprendre "les trois parties de la sapience".

Dans l'athanor, le chêne creux, s'opère la congélation de l'esprit et la solution du corps de sorte qu'Eve se change en aigle blanc afin de retrouver l'or dont elle est issue. "Tout l'Art consiste en des feux légers", écrit Zozime. Mais ces feux doivent s'accorder aux saisons  et l'adepte devra s'attacher tout particulièrement à rendre son feu léger au printemps minéral ( ce printemps qu'immortalise l'architecture romane où la pierre semble changée en lumière). L'apogée de ce printemps coïncidera avec l'apparition de floraisons célestes sur les jardins de la mer.

                                                                 Luc-Olivier d'Algange


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Lux Umbra Dei, éditions Arma Artis
Fin mars. Les Hirondelles, éditions Arma Artis
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