vendredi 17 janvier 2014

Hommage au Vespérales

... Soudain le Temps se subdivisa en sphères de plus en plus petites (un peu comme le mercure ou l'oxygène liquide lancé sur une surface vitreuse). Nous traversions les secondes comme des costumes successifs. Arlequins de la formule E égale MC2, dans notre mémoire s'ouvraient des éventails de vagues claires. Le soleil de Juillet tombait sur les couleurs étroites. Dans les chambres saintes de l'Esprit, les démesures s'affermissaient. Avec une extrême minutie, nous dessinions les généalogies adverses de la lumière. Elle était une source aux ardentes calligraphies. L'ombre diminuait insensiblement derrière les persiennes. Le Ciel avait la couleur de ce que nous espérions.
Des civilisations anciennes refluèrent en ma mémoire. Je me souvins des pays d'Akkad et de Sumer. Je me souvins de la conquête d'Elam, des vallées de l'Euphrate et du Khébar... Des nacelles d'aube s'élevaient au-dessus des rêves de mon enfance.
A cet instant même, le dôme du Sens me devint limpide. La lumière sortait de son dédale de feu. Dans les clairières tournait l'assonance des ciels et des senteurs. Nous aimions ce Dimanche d'or, ses péninsules bleues, ses quais déserts.
Les balcons s'ouvraient sur des croyances musicales et des splendeurs antérieures à toute mémoire. Des Anges portaient le soir au faîte des palmiers. Nos mains étaient douces comme des plumes qui touchaient ces livres jonchés d'ombrages impatients: estampes d'âmes élogieuses...

L'espace était un bel archange tombé en enfer. Nous échangions nos rôles énigmatiques en ce théâtre d'immanence dans l'espoir de retrouver enfin l'équilibre des mondes.
Nos promenades nous portaient vers des horizons incompréhensibles que dominaient d'immobiles statues d'effroi. Les robes de nos Amies tournaient comme des ressemblances mythologiques ou des cris d'oiseaux. Ces filles, humbles et triomphales, connaissaient par cœur les subtiles symétries du sommeil et les miroitantes profondeurs des rêves. Leurs gestes impondérables s'accordaient au crépuscule de la fin du monde, - à la manière des visages et des paysages. Elles étaient célèbres dans chaque songe comme un demi-siècle de colère sainte. Nul ne pouvait résister au secret d'oubli dont elles ornaient les maléfices du Temps.
Que dire de ces tours abandonnées et de la Reine radieuse sur cet échiquiers de lignes paradoxales ? Nous portions notre exil comme des joyaux d'abîme. La tristesse et la joie se confondaient en une ferveur implacable.

Encore fallut-il accomplir l'exorcisme enfantin des encriers. Quel Roi des Aulnes dormait dans ces sombres profondeurs ? Nous voulions être vengés d'une poussière d'or, de cette grande Egypte hivernale qui flamboyait sous la mer dans un ouragan d'ailes. Après nous, le nuit serait à jamais une vitre veinée de merveilles...
Nous touchions du regard le beau front des saisons et des fleurs et le soleil tombait dans la pluie et l'écho comme une chevelure inépuisable.
Le deuil éblouissant des puissances du froid laissait au lendemain une aube de ramures neuves.
Enfin, le moment était venu de vaincre les apparences. L'été brûlait à la cime de l'hiver. Ses trésors ne passaient plus dans le corbillard trompeur tiré par des sangliers harnachés mais s'offraient comme des friandises. Les spectres s'enfermaient dans le bronze à triple tour. Dans les faubourgs, les alchimistes se transformaient en pirates et boucliers de branches mortes. Puis, ils brûlaient l'écorce dans le tabernacle des arpèges. Leur clairvoyance ne cédait en rien à celle du printemps revenu.
Enfin, ils descendaient des hautes échelles de leurs loges avec le bel Avril entre leurs paumes de neige, attachant le cruel archet aux hiéroglyphes de leurs yeux...

De la gloire trismégiste, vous, les Vespérales, renversâtes le fond des Ages. Que bénie soit la cohue des neiges, - un diamant d'Orient entre les lèvres. Le plus beau duel eut lieu dans les geôles d'amarante, le Doge de l'Instant paraphant les dates tuées...
La citadelle s'apprêtait à recevoir l'assaut du vaste silence et des mitraillettes couleur de Saint-Guy. Les innocents tombaient comme des libellules en cette guerre plus insignifiance que l'état des lieux. A des années lumières, les ténèbres s'affublaient de transparence. Des Gorgones caparaçonnées tombaient dans les gouffres virgiliens, emportant avec elles le dôme d'ombre de l'immobilité et les trois astres végétaux de l'anesthésie. Les trottoirs s'allumaient aux banderoles du matin issue du coffre des mûres noires. Un Noël nocturne coulait sur le pare-brise alors que nous roulions à tombeau ouvert, et contre le foehn, à travers le vieil Occident, un casque de Bavière et d'émail sur nos têtes sous-marines.

Afin d'entrer dans le palais des miroirs, nous traçâmes des strophes confuses avec la craie de l'hérésie. Belles comme des pompes d'azote dans la forêt, les abeilles se rassemblaient autour du carnaval des machines. Quelle étrange métempsychose que ces bêtes à visage humain sur les pylônes !
Proche du secret que je fuis, Uranie découvre son visage en pleur. Dame du genou, elle devient ombrelle pour un prodige bariolé. Ses juges sont en prière à Saint-Jean-de-Luz. Ils se courbent aussi devant sa divine photographie...
O solitudes qui pardonnâtes aux Boréales cachées dans l'enfance d'un verbe obscur, que les lézards soient enfin les clairons de la mousse ! Que le cri de mort soit une étoile de mer ! Les mandragores brûlent à petit feu dans la laideur de la campagne dont les tiroirs cachent des crapauds d'Anjou.
Cent fois nous entendîmes la musique de ces blés noirs. Le lent chariot de la chronologie portait le dragon du soleil.

                                                              Luc-Olivier d'Algange

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